Journée mondiale des espèces menacées : l’Upemba à travers le prisme d’un rapport de 1967
- Communication
- 16 mai
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Introduction
Nous évoquons souvent les menaces qui pèsent sur Upemba — sa faune, ses écosystèmes, et l’équilibre fragile qui les maintient. Nous reconnaissons les années de négligence et de destruction, dont les conséquences résonnent encore aujourd’hui. Pourtant, nous abordons rarement les actions concrètes, les choix délibérés, qui ont contribué au déclin du parc.
En cette Journée mondiale des espèces menacées, nous revenons sur un rapport révélateur publié dans le deuxième volume du Bulletin de l'UICN (avril–juin 1967). Il relate une mission conduite à l’invitation du gouvernement congolais, avec le soutien de la Société zoologique de New York. Un représentant de l’UICN a accompagné le ministre de l’Agriculture, M. Alphonse Zamundu, lors d’une tournée d’inspection dans le sud du Congo, incluant le parc national de l’Upemba.
Plusieurs recommandations clés issues d’un rapport de l’UICN datant de 1966 ont été adoptées à l’issue de cette mission — notamment la création du Service de la Conservation de la Nature, remplaçant l’ancienne tutelle du Service des Eaux et Forêts. Ce nouvel organe a pris en charge la gestion des parcs nationaux, des réserves naturelles et des stations zoologiques, marquant un tournant dans la gouvernance de la conservation en RDC.

Rapport : Parc national de l’Upemba
Nous avons visité le parc national de l’Upemba, le plus vaste du Congo, du 25 février au 1er mars. Cinq jours sont insuffisants pour avoir plus qu’une impression superficielle d’une réserve aussi étendue, mais nous avons pu survoler la zone à basse altitude (entre 50 et 80 mètres), ce qui nous a permis d’observer des parties du parc rarement visitées.
Pour mieux comprendre les graves problèmes actuels dans ce parc national, il est nécessaire de rappeler brièvement son histoire. Le parc de l’Upemba existe depuis 1939. Il s’agissait alors d’une réserve naturelle stricte, mais dans les années 1950, l’administration envisagea d’ouvrir certaines parties à un tourisme limité. Des préparatifs en ce sens furent réalisés avant l’indépendance, mais ce n’est qu’en 1960 que le parc fut officiellement ouvert aux touristes.
Après 1960, toutefois, de nombreuses intrusions humaines et des massacres illégaux d’animaux eurent lieu. Entre 1960 et 1962, le secteur sud fut à plusieurs reprises violé par des troupes armées de l’ONU, qui contraignirent les gardes du parc à Kayo à les laisser entrer avec des jeeps et des camions. À l’époque, les animaux n’étaient pas effrayés par les véhicules, ce qui permit aux forces onusiennes d’abattre en masse, à l’aide de mitrailleuses et d’armes automatiques, des zèbres et diverses espèces d’antilopes. Ce comportement injustifiable ne fut malheureusement pas sanctionné par les autorités responsables de l’ONU. Il en résulta un profond découragement chez les gardes comme chez les populations locales.
Les gendarmes katangais puis les membres de l’A.N.C. (Armée Nationale Congolaise) suivirent ce mauvais exemple. De plus, certains responsables politiques provinciaux profitèrent de la situation pour organiser un braconnage à but lucratif, pénétrant dans le parc avec des camions pour en extraire d’énormes quantités de viande. Cette exploitation provoqua non seulement une chute dramatique des populations animales dans le parc, mais aggrava également l’attitude des communautés locales. Le braconnage se généralisa et reste apparemment très répandu dans le secteur sud, où les animaux sont désormais rares.
Nous avons passé deux jours dans ce secteur et n’avons vu qu’un troupeau de 14 zèbres, trois groupes de bubales (14 + 8 + 15 individus), quelques petits groupes ou individus isolés d’ourébis et de cobs des roseaux, quelques phacochères et un cob de l’eau. Il est vrai que, dans les conditions actuelles, la plupart des ongulés évitent les routes. De plus, nous y étions pendant la saison des pluies, quand les animaux sont très dispersés. Il semble que certains gardes du secteur sud soient eux-mêmes impliqués dans le braconnage et la vente de viande.
Dans mon rapport au gouvernement congolais, j’ai abordé ce problème en détail et proposé des contre-mesures appropriées qui ont été approuvées. Cela résume les aspects négatifs de la situation dans le secteur sud. Mais il existe également un aspect positif : cette partie du parc national est encore intacte dans le sens où aucune installation humaine n’y a été établie, et il n’y a donc pas de pression foncière.
Dans le secteur nord du parc, qui couvre près des trois quarts de la surface totale, la situation est bien meilleure. Bien qu’il y ait plusieurs implantations humaines, les animaux n’y semblent pas avoir été beaucoup persécutés. Lusinga, la principale station du parc national, est située dans ce secteur. En septembre 1960, cette station était encore en bon état. Malheureusement, des guerriers de l’ethnie Baluba envahirent le parc par le nord, pillèrent la station de Lusinga et incendièrent les logements des gardes dans tout le secteur nord. Le bac sur la rivière Lufira fut détruit, interrompant ainsi la communication routière directe entre les secteurs nord et sud du parc. Finalement, les Baluba se retirèrent, et l’administration du parc contrôle aujourd’hui environ les deux tiers de la réserve.
Le manque de véhicules adaptés constitue cependant un sérieux obstacle au contrôle efficace. Les braconniers, bien armés, n’ont aucun mal à éviter les patrouilles à pied des gardes. En fait, nous avons croisé deux braconniers armés d’armes automatiques non loin d’un des camps illégaux Baluba, dans une zone que les gardes fréquentent rarement. Malgré ces implantations, le braconnage semble moins intense dans le secteur nord que dans le sud, ce que confirme le comportement plus confiant des animaux.
On compte au moins huit villages dans le secteur nord. Trois sont situés au centre, près de la rivière Lufira, avec une population d’environ 500 personnes vivant uniquement de la chasse et de la pêche. Deux villages se trouvent à l’extrême nord. La plus forte concentration humaine du parc se situe sur la rive orientale du lac Upemba, avec deux grands villages, des cultures étendues et des centaines de pirogues circulant dans de longs canaux creusés dans les papyrus. Un troisième village se trouve sur la rivière Sanga, au sud-est du lac. La population totale de ces trois villages est probablement supérieure à 7 500 personnes.
L’effet de ces populations humaines sur la faune est difficile à estimer sans enquête approfondie. Selon nos observations de février-mars 1967, il y a moins d’animaux aux abords des trois villages proches de la Lufira que dans d’autres zones du secteur nord, probablement parce que la chasse y est la principale source de subsistance. Toutefois, malgré cette pression, la faune y est encore plus abondante que dans le secteur sud, où le braconnage est plus intense. Les habitants de la rive est du lac Upemba semblent vivre principalement de la pêche et de l’agriculture, bien qu’ils chassent probablement aussi. Néanmoins, c’est dans cette région marécageuse que nous avons observé les plus grands troupeaux d’éléphants et d’antilopes. Ce constat laisse penser que la faune n’est pas directement perturbée à proximité des villages Baluba.
Les mammifères du secteur nord ne sont pas farouches et peuvent être facilement approchés en véhicule. Malgré leur dispersion pendant la saison des pluies, nous avons observé de nombreux troupeaux de zèbres (de 30 à 150 individus), de bubales (de 15 à 50), d’hippotragues (de 10 à 20) et de babouins (de 15 à 70). Les ourébis et les cobs des roseaux étaient communs partout. Dans les zones marécageuses à l’est du lac Upemba, nous avons vu plusieurs troupeaux d’éléphants (de 100 à 150 individus).
Nous avons également observé de nombreuses autres espèces de mammifères : vervets, mangoustes (deux espèces), phacochères, cobs de l’eau, pukus, guibs harnachés et un troupeau d’élands. De nombreuses terriers d’oryctéropes ont aussi été repérés. Les points négatifs furent l’absence apparente d’hippopotames dans la Lufira, la rareté surprenante du phacochère, et l’absence d’observations de buffles, céphalophes, klipspringers et hippotragues noirs. Malgré les dommages subis depuis 1960, le parc national de l’Upemba demeure une zone faunique exceptionnelle au potentiel élevé. J’ai présenté au gouvernement une série de recommandations, et celui-ci s’est montré désireux de rétablir la situation.
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Image Illustration: Chris Boyes
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